"Le 21 décembre 1940, en rentrant du travail à midi, nous avons la surprise de voir un beau sapin installé dans notre dortoir, suivant la coutume très répandue en Allemagne. Dans chaque appartement, étaient installés des sapins de Noël, même dans les carrefours des rues en ville. L'après-midi, on garnit notre sapin de bougies électriques et de serpentins argentés.
Le 22 décembre, le patron, suivi de sa famille et de son ami qui parlait le français vint nous souhaiter une bonne fête et nous apporter quelques objets. C'est l'ami du patron qui, au nom de celui-ci, nous souhaita en français une bonne fête suivant la coutume dans les familles allemandes, et nous souhaita en plus meilleures fêtes pour l'année prochaine dans nos familles, espérant la guerre finie. On partagea son voeu.
Puis, chacun reçut un paquet de cigarettes, des lacets de souliers, trois boites de cirage, et une boite de graisse à souliers, plus une demi-douzaine de brosses entre la chambrée, et deux serviettes de toilette chacun.
En outre, le 25 et le 26, chacun reçut sa canette de bière. Nous autres, prisonniers rationnés, on aurait préféré un supplément de nourriture. Cela n'empêche que nous étions contents, car bien que les cadeaux étaient modestes, le geste était vraiment beau, surtout envers des prisonniers de guerre.
Pour la Noël, nous eûmes deux jours de repos, qui passèrent bien mornes, enfermés que nous étions dans notre dortoir.
Raymond Troye Meurtre dans un oflag
Où étaient les beaux offices de chez nous pour la messe de minuit? Ici, pas même la satisfaction d'avoir une simple messe basse, ni même aucun dimanche.
Le 29 décembre, arriva un envoi de la croix rouge française. Chacun eût trente-trois biscuits de guerre, et, à partager entre nous vingt, sept boites de singe et une boite d'une livre de beurre. C'était le deuxième envoi à peu près identique que nous recevions depuis notre arrivée en Allemagne. Les biscuits étaient toujours très appréciés, car ils nous remplissaient et allongeaient le pain que nous recevions en petite quantité.
Le 31 décembre, arrivèrent pour nous les premiers colis de France. Cinq d'entre nous eurent le bonheur de recevoir leur colis de cinq kilos. Leur bonheur fût partagé par tout le monde, étant sans nouvelles depuis notre arrivée en Allemagne deux mois auparavant. Cela nous donna l'espoir qu'on pensait encore à nous au beau pays de France, et que , peut-être, bientôt, suivraient des lettres et de nouveaux colis.
Le soir, avant de nous coucher, un camarade, entre nous, nous souhaita la bonne année et le bonheur qu'on attendait tous, celui d'être libre, dans un petit speech qu"il avait improvisé à notre insu.
1er janvier 1941: 197 ème jour de captivité
Journée de cafard pour tous, si loin du pays et de la famille. Enfermés toute la journée dans notre appartement grillagé et n'entrevoyant rien qui pourrait nous donner une assurance ou une espérance d'une liberté prochaine.
site Mémoire et Avenir
Qui d'entre nous aurait pensé passer cette journée ici ? Sûrement, au début de notre vie de prisonniers, nous étions loin de nous en douter, après toutes les belles promesses qu'ils nous firent alors, et que nous avons eu le tort de croire. Hélas, les belles occasions de fuir étaient passées et maintenant, nous n'avions qu'à nous résigner à notre sort et attendre l'heureux jour tant désiré où nous retrouverions notre patrie bénie.
Le 4 janvier, je reçus mon premier colis de France, un colis de cinq kilos de vivres et qui contenait un pain recuit français. Ce fût avec plaisir que je dégustai le bon pain blanc, qui était parfaitement conservé, ce qui amena tous mes camarades à en demander dans leurs lettres.
site meurtre dans un oflag
Ce colis mit plus d'un mois à me parvenir et était le premier signe de vie de ma famille, car je n'avais pas encore eu de nouvelles.
Ce jour-là aussi, arrivèrent les deux premières lettres pour notre petite société, et la semaine suivante, plusieurs de mes camarades furent favorisés dans leur attente.
Cette semaine-là aussi, nous touchâmes un autre don de la croix rouge, toujours bien apprécié à cause des biscuits de guerre.
distribution des colis
Enfin, le 15 janvier, après trois mois de silence,
je reçus deux cartes, l'une de la maison, la seconde de la tante de Quimper.
Ces cartes, sans m'apporter de nouvelles fraiches ni longues, me causèrent quand même beaucoup de joie,
la première étant partie du 23 novembre et l'autre du 18 décembre."
Mon père a gardé toutes les lettres et cartes reçues en captivité. En voici une des premières, envoyée par sa soeur Yvette. Le demi-cercle en haut à gauche étant le cachet de censure allemande.