"Enfin, ennuyés par les bobards, c'est pour mardi, c'est pour vendredi, et ainsi de suite, le jour tant attendu arriva au bout d'un mois. Le 26 novembre 1941, au rassemblement du soir, on nous annonça le plombage des valises pour le lendemain. Il y avait de l'espérance !
Le 27, on passa une petite fouille sur nos valises, peu sévère, et on les plomba. On ne devait pas les rouvrir avant notre arrivée en France.
Déclaration Nr 93 de départ du stalag IVE de 67 prisonniers, dont mon père (archives de Caen)
liste de huit prisonniers parmi les 67 départs, dont mon père (archives de Caen)
Le 28 au matin, à soixante-sept, avec une journée de vivres, joyeux, on dît adieu au camp IVE et aux camarades moins fortunés que nous. On s'embarqua dans deux wagons de marchandises et en route pour le camp IVB de Mühlberg. Pourvu qu'on n'y reste pas aussi longtemps qu'au IVE. Notre espérance nous faisait oublier le froid dans notre cellule.
document de mise en congé de captivité allemande (avec le journal de mon père)
On débarqua à cinq kilomètres du camp, comme treize mois auparavant. On gagna le stalag qui n'avait pas beaucoup changé, sauf un peu agrandi. On y arriva à onze heures du soir.
Là, toujours le même refrain, douches-désinfection et fouille à l'arrivée. En maugréant, on passa aux douches à minuit, et de nouveau, on resta deux heures en costume d'Adam pour attendre nos vêtements. A la sortie, ce fût la fouille, qui n'eût pas lieu pour nous, nos valises étant plombées. On gagna une baraque glaciale et on s'allongea sur des lits en planches, sans paillasses, ni couvertures, à deux heures trente du matin. Pour le jour, tout le monde était gelé là-dedans.
Dans la matinée, un chef de baraque nommé se mît en devoir de nous rassembler par équipes de vingt comme c'était l'habitude. Il nous distribua gamelles et couvertures. Cela était un vendredi, le départ devait avoir lieu selon les dires le dimanche.
Il y avait interdiction de sortir de la baraque par mesure de prudence, le typhus régnant au camp parmi les Russes. On risquait de l'attraper à leur approche et d'être ainsi mis en quarantaine, et au revoir pour le départ, sans compter le risque d'y laisser sa peau. Cette nouvelle du typhus nous alarma un peu, car en deux jours, on risquait bien de l'attraper.
Heureusement, à une heure, après un repas de choux et de rutabagas cuits dans l'eau, sans un brin de sel ni graisse, que les cochons n'auraient pas mangé chez nous, un bruit courût comme un éclair. C'était le ramassage immédiat des couvertures et gamelles, et le rassemblement pour le départ vers la France.
Quel soulagement ! Je vous assure, ce fût vite fait !
Au rassemblement, après un appel et vérification des plaques, les valises non plombées le furent, on nous distribua à chacun une boule de pain et trois rondelles de saucisson pour la route.
Nous étions environ huit cents. Heureux, d'un pas léger, nous franchissons la grille, plus joyeux qu'un an auparavant, et en route vers la gare. Là, d'autres camarades d'un autre camp et un train spécial nous attendait."