"Pâques 1941. Tristes fêtes pour nous cette année derrière nos barreaux, privés de tout secours moral et religieux et dans l'impossibilité de remplir ses devoirs pascals. Nous n'avons même pas de messe, pas plus que les autres dimanches.
Mémoire et Avenir
L'usine ne marche pas le vendredi ni le samedi saint, le dimanche et le lundi de Pâques, soit quatre longs jours interminables pour nous, que nous passons renfermés dans notre chambre. Heureusement que le cantinier nous soigna assez bien pendant ces fêtes.
Les distractions devenaient rares, car nous étions lassés à la fin des jeux de cartes. Dans l'usine, nous trouvions heureusement de quoi pour faire quelques bricolages. Tout le monde fit sa valise en bois et des quantités de petites boites et coffrets en contreplaqué. On devenait un jour ébéniste, peintre, décorateur, tailleurs de chaussons, couturiers.
Cela n'empêche qu'il nous restait encore pas mal de loisirs, qui nous rappelaient le pays, en regardant le beau temps par les fenêtres barricadées. Toujours ce maudit cafard, cette bête noire comme disait Pierre l'Ermite" (religieux Français du XIe siècle, principal prédicateur de la première croisade)
"Qu'étaient devenues pour nous les belles fêtes de Pâques et les belles randonnées sous le soleil printanier. Si encore c'était la dernière à passer dans ces conditions ?
dessin Géo Fosty Meurtre dans un oflag
Le dimanche de Pâques, nous apprenons par la radio qui nous est prêtée que les troupes allemandes avancent en Yougoslavie, et ont pris Belgrade et Salonique. La Yougoslavie capitule le 17 avril 1941.
Notre sentinelle est de nouveau changée le 19 avril. La nouvelle est aussi très gentille, mais plus réservée que Joseph. Elle parle très bien le Français.
Après nous avoir demandé notre avis, la sentinelle nous conduit à une église le dimanche 27 avril à treize heures trente, la cérémonie -laquelle?- commençant à quatorze heures. Nous faisons environ deux kilomètres en ville et arrivons à une église catholique assez coquette où de nombreux prisonniers, conduits en groupes, arrivaient des différents coins de la ville. Nous entrons dans l'église, où à notre grande joie et stupéfaction, la messe commence devant un millier de prisonniers. Ma joie et mon bonheur furent sans bornes. Nous chantons la messe.
A l'évangile, l'aumonier allemand, parlant très bien le Français, nous adresse la parole et nous démontre le sens de notre vie, gravitant autour de l'espérance et de la confiance, source de vie chrétienne. Il nous annonce qu'il va nous donner l'absolution générale, et que nous pouvons communier en viatique" (sans obligation d'être à jeun, comme il était de règle à l'époque). "Mon bonheur est grand, car les fêtes de Pâques étaient passées et j'étais loin d'espérer une cérémonie semblable. A la communion, presque tous les prisonniers présents font leurs pâques.
Mémoire et Avenir
A la fin de la messe, on nous annonce que le dernier dimanche de mai, nous aurons encore notre messe. Ainsi, nous espérons avec joie pouvoir dans l'avenir remplir peut-être nos devoirs religieux et bénéficier d'un grand secours moral. Car depuis cinq mois que je travaille à Halle, je n'avais vu aucune église, ni eu aucune messe ni aucun office. Notre sort va peut-être s'adoucir par suite de la collaboration du gouvernement français?
Mémoire et Avenir
Nous retournons à notre demeure. En cours de route, nous voyons des ouvriers français venus travailler ici, et ayant l'air de se moquer de nous et de nous narguer, ce qui nous met en colère contre eux, en nous rendant notre sort encore plus amer.
Le dimanche suivant, nous faisons une marche dans la matinée, à travers un quartier ouvrier tout neuf, dans la banlieue de la ville. Nous admirons les belles lignées de maisons neuves modernes standard, très jolies et très bien tenues. La propreté est incomparable dans les rues et autour des habitations. Nos villes et certains quartiers de chez nous feraient bien d'en prendre de la graine.
Le vinqt-huit avril, paiement de vingt-cinq marks quatre-vingt-un.